L’avion vert : mythe ou réalité ?

L’avion durable et écologique fait rêver bien des ingénieurs et des innovateurs. Et pour cause ! Voler sans polluer, ne serait-ce pas formidable ? Mais ce rêve est-il réalisable ? Développer des matériaux plus légers, mais tout aussi performants, et miser sur les agrocarburants sont-elles des solutions viables pour limiter les impacts environnementaux du secteur aérien ? L’avion vert : mythe ou réalité ? Essayons d’y voir plus clair ensemble.
Quelle est la contribution du trafic aérien au changement climatique ?
Le nombre d’avions en circulation dans le monde devrait doubler d’ici 2040 : voilà le pronostic fait par Airbus. Le but, bien évidemment, est de permettre à de plus en plus de passagers de se déplacer rapidement et loin.
Mais, dans un contexte d’urgence climatique, qu’implique cette nouvelle ? En effet, doubler le trafic aérien signifie, inévitablement, doubler également les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux vols.
Or, le trafic aérien est déjà responsable d’environ 4 % des émissions de GES dans le monde ! Si ce chiffre peut paraître, pour le moment, relativement peu élevé, il est important de noter qu’il ne prend pas en compte les émissions liées :
- à l’extraction du carburant (et d’autres ressources nécessaires) ;
- à la fabrication des appareils ;
- à la construction d’aéroports et de pistes d’atterrissage ;
- à la maintenance et la fin de vie des équipements (avec la nécessité de remplacer des pièces, de démembrer les appareils, de recycler lorsque cela est possible, etc.).
L’avion vert, afin de devenir réalité, devra prendre en compte toutes ces implications. De plus, il s’agit de mettre ces 4 % en relation avec l’évolution constante et rapide de ce secteur.
Ainsi, entre 1990 et 2019, au niveau mondial, les émissions liées au trafic aérien ont augmenté de 146 % ! Une croissance très rapide, à mettre en lien avec l’augmentation du nombre de passagers comme du trafic de marchandises. De plus, si, en 2020, une diminution nette a pu être observée, ceci est à remettre dans le contexte de la Covid-19.
Aussi, il est d’importance de remédier à la problématique du trafic aérien pour limiter les émissions de GES – et donc lutter contre le réchauffement global. Or, pour rappel, l’Union européenne a pour but d’atteindre des émissions nulles d’ici 2050 (c’est le Green Deal, ou Pacte vert).
C’est donc dans ce contexte que l’Union européenne a fait une double proposition :
- trouver des carburants plus durables ;
- mettre en œuvre, avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), un système de compensation carbone des émissions.
Mais s’agit-il réellement de solutions efficaces pour atteindre l’objectif d’émissions nulles ? Comment parviendra-t-on à créer un véritable avion écologique ?
L’avion vert : quels sont les carburants durables les plus prometteurs aujourd’hui ?
Se tourner vers les carburants alternatifs au kérosène pour diminuer l’impact climatique de l’aviation : telle est la conclusion à laquelle l’OACI est parvenue en 2016, à Montréal.
Agrocarburants, avions électriques… Serait-ce si simple ? En effet, les innovations technologiques réalisent sans cesse des bonds en avant, laissant rêveuses bon nombre de personnes.
Par exemple, le projet Solar Impulse, lancé par Airbus en 2003, a abouti à un avion sans carburant qui a réalisé le tour du monde en 2016, soit près de 40 000 km. Il s’agissait du premier avion fonctionnant à l’énergie solaire à parcourir une aussi grande distance.
De quoi donner le vertige (et beaucoup d’espoir) quant à l’avènement prochain de l’avion vert ! D’ailleurs, aujourd’hui, la fondation Solar Impulse accompagne plus de 1 000 projets visant à développer des solutions « propres » dans tous les secteurs. Dans celui de l’aéronautique plus précisément, en voici quelques exemples en cours de développement :
- un avion à propulsion hybride/électrique, pour des vols court-courriers ;
- un matériau renforcé de fibres de carbone pour alléger les appareils ;
- des piles à hydrogène ultralégères.
Par ailleurs, en 2019, près de Madrid, un prototype a montré la possibilité de produire un carburant à partir de l’eau et du CO2 extraits de l’air. Une technologie complexe, mais efficace, qui permettrait de réduire le bilan carbone de 90 % par rapport à un carburant classique.
Mais ce n’est pas tout ! D’autres carburants alternatifs sont envisagés : les agrocarburants. L’OACI espère ainsi qu’ils remplaceront petit à petit les carburants fossiles dans l’aviation d’ici 2050. D’ailleurs, en 2017, le président de l’organisation, M. Aliu, précisait que plus de 40 000 vols se faisaient déjà grâce à des carburants durables (issus d’huiles végétales, d’algues, de sucre ou encore de lignocellulose).
Alors, sommes-nous en droit de nous réjouir ? Malheureusement, rien n’est jamais si simple.
Ainsi, selon le ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, le développement de carburants biosourcés se heurte à de nombreuses difficultés.
Parmi celles-ci, notons en particulier la concurrence des autres secteurs qui exploitent les terrains agricoles et forêts : l’agriculture, l’industrie agroforestière, etc. Or, d’après une analyse réalisée en 2011 par Les Amis de la Terre, il faudrait près de 3,5 millions d’hectares pour produire 2 millions de tonnes d’agrokérosène. Les conséquences ? Elles sont multiples : diminution du nombre de terrains destinés à l’agriculture, augmentation du prix des denrées alimentaires, déforestation, etc. Un avion vert, oui, mais à que prix ?
De plus, s’il s’agit de carburants renouvelables et non fossiles, cela ne les exempte pas d’émettre des gaz à effet de serre et des polluants au cours de leur combustion. En effet, s’il est souvent admis que les plantes ont d’abord absorbé le CO2 qui sera ensuite émis dans l’atmosphère au moment de brûler, le bilan carbone de l’avion n’en est pas pour autant neutre. Et ce, pour deux raisons :
- du CO2 est libéré non seulement lors du vol, mais aussi pour cultiver les plantes nécessaires, les moissonner, les transformer, etc. ;
- ce sont les arbres qui absorbent le plus de CO2, or le développement d’agrocarburants impliquerait une déforestation massive.
En ce qui concerne la production d’algues, des problèmes similaires émergent, notamment quant à l’espace nécessaire pour les cultures.
Mais alors, qu’en est-il des carburants qui emploient l’énergie solaire ou une autre énergie renouvelable ? En réalité, d’autres questions se posent. Ainsi, combien d’années nécessite le développement d’une technologie suffisamment robuste pour être utilisée à l’échelle mondiale ? Combien de temps pour adapter les outils réglementaires et fiscaux ?
Ces interrogations sont loin d’être anecdotiques : ce type de technologies n’est pour le moment envisagé que pour des vols court-courriers, et non long-courriers. Or, les enjeux (notamment en matière de sécurité des passagers) ne sont pas tout à fait les mêmes dans le cas de vols longs…
L’avion écologique : la compensation carbone en fera-t-elle une réalité ?
« Mais tout n’est pas perdu ! », nous dit-on.
En effet, un second espoir porte sur la compensation carbone.
Il s’agit d’un principe selon lequel nous pouvons « compenser » une tonne de carbone émise via, notamment, des solutions de captation et de séquestration du CO2. Autrement dit, des arbres.

Grâce à ce principe relativement simple, de plus en plus de compagnies aériennes affirment que les voyages en avion sont désormais « neutres en carbone », grâce à la plantation d’arbres dans différentes régions du globe.
Néanmoins, si protéger nos forêts est essentiel, ces projets de compensation permettent-ils réellement de « polluer sans compter » ? Planter des arbres à chacun de ses vols suffit-il a rendre l’avion vert ?
Là encore, ce n’est pas si simple.
Tout d’abord, parce que de tels projets n’incitent pas à adopter des politiques de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Mais aussi parce que, selon une analyse réalisée en 2016 par un institut allemand, sur 5 655 projets, 85 % d’entre eux présentaient une faible probabilité d’atteindre la réduction d’émissions de GES promise (contre 2,3 % pour une forte probabilité). De plus, pour les offres de réduction d’émissions certifiées de 2013 à 2020, 73 % des projets présentaient une faible probabilité de réussir (pour 4 829 projets au total).
De plus, si un accord a été signé en 2016 pour tendre vers une neutralité carbone dans l’aviation (accord appelé Carbon Offseeting Reduction Scheme, ou Corsia), il ne sera obligatoire qu’à partir de 2027, et pour les vols qui concernent 16 pays seulement. Or, la crise climatique est un enjeu global : les avions atterrissant et repartant de pays en voie de développement y contribuent tout autant que les autres.
Enfin, la compensation carbone présente d’autres problématiques, d’ordre social, cette fois. En effet, ce sont bien souvent dans les pays en voie de développement que ces projets ont lieu. Ainsi, les Occidentaux contrôlent les terres de peuples locaux, dans un esprit postcolonial très fort.
D’ailleurs, le Mouvement mondial pour les forêts tropicales recense l’impact des projets de compensation carbone REDD+ sur les communautés locales. En particulier, il met en avant la restriction des activités agricoles et forestières locales.
Finalement, l’objectif de croissance neutre en carbone d’ici 2050 est-il un enjeu envisageable dans l’aviation ?
Reprenons tout depuis le début.
Pour actionner un mouvement, n’importe lequel, il faut de l’énergie. Même nous, pour initier un mouvement, nous avons besoin d’énergie, fournie par l’alimentation. Or, pour cela, nous devons cultiver, récolter, puis transformer et distribuer nos aliments.
Ainsi, produire de l’énergie pollue et émet des gaz à effet de serre : cela est inévitable. Nous ne savons pas employer les rayons du soleil sans construire de panneaux photovoltaïques et des batteries. Nous ignorons comment utiliser le vent ou les courants d’eau sans éoliennes, hydroturbines et autres machines.
C’est pourquoi nous avons sans cesse besoin de développer des technologies permettant d’exploiter ces énergies, qu’elles soient renouvelables ou non.
Toutefois, si l’être humain n’a besoin que de quelques repas pour fonctionner, imaginez l’énergie qu’il faut pour soulever de terre un avion et le faire voler !
Même en rendant les avions les plus légers possibles, cette quantité d’énergie ne sera jamais négligeable. Cela reste, après tout, une grosse carcasse de métal et de plastique !
Or, les carburants alternatifs au kérosène sont encore loin d’être au point, autant d’un point de vue technologique que réglementaire. De plus, leur utilisation n’est pas neutre en gaz à effet de serre.
Quant à réguler les émissions de CO2 du trafic aérien via des projets de compensation carbone, nous avons vu que cette solution ne permettra pas d’atteindre une neutralité carbone.
Que faire, alors ? Sommes-nous dans une impasse ?
Eh bien, en théorie, pas vraiment… En effet, au vu de l’urgence climatique, la solution la plus efficace est de réduire le nombre d’avions qui circulent dans les airs.
Il existe, en effet, de nombreux cas où nous n’avons pas besoin d’aller dans un aéroport :
- pour un trajet court (de moins de 800 km), le train – notamment le TGV – a un impact carbone bien moindre ;
- pour des réunions, il est désormais possible de faire des visioconférences plutôt que de se déplacer ;
- la relocalisation de nombreuses industries permet d’éviter les transports à l’aide de long-courriers (ou de containers maritimes) ;
- enfin, pour les vacances, pourquoi ne pas choisir une destination plus facilement accessible, avec d’autres moyens de transport ?

Bref, repenser nos modes de vie est la meilleure solution pour diminuer notre impact environnemental.
Malheureusement, tout ceci ne dépend pas seulement de la motivation de tout un chacun. En effet, ce sont aussi aux pouvoirs publics de s’emparer de cette problématique – et nous sommes encore bien loin d’une politique visant à diminuer le nombre de vols. Ainsi, le fait que l’avion soit souvent bien moins cher que le train n’incite pas à privilégier ce dernier (bien au contraire)…
D’autres pays l’ont bien compris : l’Allemagne a ainsi mis en place un billet mensuel à 9 € pour les trains régionaux et réseaux urbains. Certes, cette décision est à remettre dans un contexte de guerre et de flambée des prix des hydrocarbures. Malgré tout, il y a de quoi donner envie de reprendre ces transports !
Saurons-nous, en France, suivre cet exemple ?
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