Pourquoi les lobbys nous encouragent-ils à boire du lait ?

Les produits laitiers sont-ils vraiment nos amis pour la vie ? Bien que la publicité, depuis les années 1980, nous ressasse cette maxime, qu’en est-il de la réalité scientifique ? Les êtres humains peuvent-ils vivre sans lait ET sans carences, notamment en calcium ? Voyons comment le lobby du lait nous fait croire que les produits laitiers sont essentiels pour une bonne santé et pourquoi boire du lait n’est pas toujours bénéfique.
Boire du lait : que dit la recherche scientifique ?
Pour votre santé, vous devriez consommer 3 produits laitiers par jour. Ces derniers permettraient en effet, entre autres, de renforcer les os, mais aussi d’améliorer la flore intestinale et de lutter contre l’ostéoporose. Pourtant, la communauté scientifique ne semble pas d’accord avec ces présupposés transmis, notamment, par la publicité.
Près de la moitié des adultes auraient des difficultés à digérer le lait
Boire du lait est-il vraiment bon pour la santé ? La mauvaise digestion du lactose, sucre contenu dans le lait, a été mise en évidence dans les années 1960. Ainsi, environ 70 % de la population mondiale serait concernée. Toutefois, ce trouble gastro-intestinal est souvent sous-diagnostiqué.
Il concerne principalement les personnes adultes : en France plus précisément, entre 30 et 50 % des adultes présenteraient, d’après Ameli (1), une mauvaise digestion du lait. Cette difficulté à absorber certains nutriments du lait à l’âge adulte est tout à fait normale. En effet, enfant, nous produisons une enzyme, la lactase, qui permet d’absorber le lactose. Néanmoins, cette production de lactase diminue naturellement avec le temps : c’est l’hypolactasie. Or, lorsqu’il n’y a plus suffisamment de lactase pour digérer le lait, il est possible de voir apparaître des difficultés de digestion, voire une intolérance au lactose. Or, ceci entraîne de nombreux symptômes (douleurs abdominales, diarrhées, ballonnements, etc.).
Des allergies aux protéines du lait
Outre une digestion incomplète du lactose et une intolérance à ce dernier, il existe des allergies aux protéines du lait animal (mais non au lactose). Ainsi, boire du lait provoque des symptômes digestifs, mais aussi respiratoires. Une urticaire ou un eczéma peuvent également apparaître.
Pourquoi boire du lait alors que d’autres aliments contiennent du calcium ?
Heureusement pour les personnes allergiques et/ou intolérantes aux produits laitiers, d’autres aliments contiennent du calcium en quantité : c’est le cas de nombreux légumes verts, de légumes secs, ainsi que d’aromates (menthe, basilic, thym, origan, sauge), d’eaux minérales et de fruits secs.
Ces aliments végétaux contiennent même parfois plus de calcium que le lait.
L’apport moyen journalier recommandé en calcium est de 950 mg chez les plus de 24 ans, selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Aussi, une alimentation saine et équilibrée devrait permettre d’absorber les quantités nécessaires à notre organisme. Sans compter le fait que certaines alternatives végétales au lait sont riches en calcium (on peut donc boire du lait d’amande ou de soja), tandis que d’autres en sont enrichies (comme les boissons à base d’avoine ou de riz), notamment grâce à une algue marine appelée lithothamne.

Le rôle du lait dans l’ostéoporose
En ce qui concerne le fait de boire du lait dans la lutte contre l’ostéoporose, difficile d’y voir clair tant les études sur le sujet sont contradictoires : certaines montrent un lien entre la consommation de lait et la diminution des risques d’ostéoporose, d’autres non. Il s’agit d’une maladie multifactorielle, il est donc difficile d’identifier avec précision comment chaque paramètre (tel que la génétique, la consommation d’alcool, l’activité physique, les habitudes alimentaires, etc.) influence cette pathologie.
Boire du lait de croissance est-il indispensable dans la nutrition des tout-petits ?
Enfin, selon l’EFSA (ou Europen Food Safety Authority), les laits dits de croissance ne seraient pas nécessaires pour répondre aux besoins nutritionnels des enfants, contrairement à ce que bien des industriels pourraient nous laisser entendre.
Une communication intense de la part des lobbys pour boire plus de lait ?
Alors, pourquoi nous (sur)vend-on les vertus du lait, non seulement pour lutter contre l’ostéoporose et la diminution des risques de fractures, mais aussi pour complémenter l’alimentation des nouveau-nés ?
Deux chercheurs se sont déjà posé la question : Mélissa Mialon et Jonathan Mialon ont ainsi fait l’inventaire des actions de communication réalisées par le Cniel (Centre national interprofessionnel de l’économie laitière), mais aussi Danone et Lactalis.
Près de 170 initiatives ont ainsi été recensées. Cette analyse a permis de mettre en évidence des pratiques courantes de l’industrie laitière : relations nouées avec des professionnels du médical, mais aussi avec le gouvernement.
Zoom sur les quelques manières dont l’industrie laitière influence l’opinion publique.
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Une participation active à des événements médicaux
Les industries laitières interviennent jusque dans les cabinets médicaux : de nombreuses brochures et revues y sont distribuées. C’est le cas de la revue Objectif Nutrition de l’Institut Danone France, qui a été diffusée gratuitement auprès de 21 000 professionnels de la santé, de 1991 à 2018.
Cet institut va même plus loin : il a en effet mis à la disposition des médecins le logiciel eeSyme 1.6, et ce, de manière entièrement gratuite. Ce logiciel sert à évaluer les risques du syndrome métabolique chez l’enfant.
Mais ce n’est pas tout ! En effet, les industriels du lait participent et animent des événements médicaux, tels que les Journées francophones de nutrition (JFN).
Boire du lait : un marketing alimentaire jusque dans les écoles
Autre combat des industries du lait : l’école. Ces industriels ne se contentent pas de distribuer des brochures qu’ils ont eux-mêmes créées au sein des établissements médicaux, les écoles sont également une cible de choix.
Ainsi, à travers son programme Clémantine, l’Institut Danone France fournit gratuitement un kit de formation à destination de la restauration scolaire. Son but ? Former le personnel des cantines, entre autres, quant aux besoins nutritionnels des enfants.
La Fondation Nestlé, quant à elle, fournit (également gratuitement) un livret destiné aux parents des enfants de 4 à 11 ans. Dans ce livret, nous pouvons voir qu’il est conseillé d’ingérer 3 à 4 laitages par jour (tout en déconseillant de rechercher des alternatives).
Le 7 juillet 2019, Hugo Clément réalise une vidéo dans laquelle il rapporte ce que sa fille a appris à l’école. Ainsi, au goûter, il serait conseillé de ne pas manger de fruit, mais plutôt de boire du lait.
S’agit-il là de recommandations d’un ou d’une professionnel(le) de la nutrition ?
Intrigué, ce journaliste investigue. Dans sa vidéo, il montre les flyers donnés par l’intervenante à l’école : toutes les recettes contiennent des produits laitiers, représentés par de petits personnages sympathiques. Y est également présent un exercice, dans lequel les enfants doivent choisir les goûters équilibrés : la pomme y est barrée, tandis que le goûter « 1 verre d’eau + 1 yaourt + 2 biscuits secs nature » est mis en avant.
Sur la dernière page de ces flyers, nous pouvons constater qu’ils ont été distribués par le Cniel.
Cet institut ne se contente pas de donner ces brochures aux élèves : à travers l’Observatoire Cniel des habitudes alimentaires (OCHA), il distribue des livres pour enfants décrivant tous les bénéfices du lait. Ce sont les livres Une vache à Paris et Une vache en vadrouille.
Quant aux effets néfastes de la production de lait non seulement sur le bien-être animal, mais aussi sur le réchauffement climatique : nul mot à ce propos.
Les relations étroites entre le Cniel et l’Éducation nationale sont désormais bien établies. À Caen, par exemple, le Cniel et l’Éducation nationale collaborent avec un fromager local en vue de proposer des ateliers et dégustations aux écoliers. Une convention régionale de coopération établie entre le rectorat de l’académie de Besançon et le Cniel montre également le fort lien unissant les entités publiques au lobby du lait : fourniture de matériel pour la formation des élèves, interventions dans les classes, etc. Désormais, ce type de partenariat serait décliné dans 25 académies.
Toutefois, les enfants n’ont pas besoin de consommer 3 à 4 produits laitiers par jour : l’assurance maladie indique ainsi qu’il est recommandé de ne pas dépasser 2 produits laitiers par jour (lait, yaourt ou fromage, en évitant crème et beurre).
De plus, les recommandations nutritionnelles du GEM-RCN (ou Groupe d’étude des marchés de restauration collective et nutrition) engendrent des apports en protéines trop élevées par rapport aux recommandations de l’Anses : de 200 % pour un enfant de 11 ans à 400 % pour un enfant de 3 ans (en ne prenant en compte que la viande et le produit laitier).
Il serait donc urgent de revoir la nutrition de nos enfants et de redonner une place de choix à l’alimentation végétale.
L’Europe et le GIEC favorables aux alternatives végétales plutôt que de boire du lait animal uniquement
La communication et le marketing ne sont pas les seules lignes de mire du secteur laitier : la réglementation, à l’échelle française comme européenne, est également visée.
C’est ainsi que, à l’échelle de l’Union européenne, la dénomination « lait » n’est destinée qu’au lait d’origine animale. De même, les termes tels que « beurre », « crème », « fromage », pour ne citer qu’eux, ne sont destinés qu’aux produits laitiers issus de l’animal.
C’est ainsi que des alternatives végétales se voient attribuer d’autres noms, tels que « boisson à base d’avoine ». Il existe néanmoins, en France, quelques exceptions : ainsi, il sera possible de trouver du « lait d’amande », du « lait de coco » ou de la « crème de riz ».

En 2020, une nouvelle procédure a été lancée à l’encontre des alternatives végétales, dans le cadre d’une révision de l’Organisation commune des marchés (OCM). Il s’agissait alors d’adopter l’amendement 171, dont le but était d’élargir les contraintes susmentionnées, avec notamment l’interdiction de formats d’emballages évoquant les produits laitiers issus de l’animal ou encore l’interdiction de termes du type « substitut de fromage » ou « crémeux » pour décrire un produit végétal.
Pour faire face à cette lutte contre l’alimentation végétale, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a rédigé un courrier réclamant le rejet de cet amendement. De leur côté, des associations, eurodéputés et ONG s’opposaient à cette mesure.
Ainsi, en 2021, cet amendement a été révoqué par le Conseil européen, la Commission européenne ainsi que les États membres.
Néanmoins, cette lutte politique montre bien le pouvoir des industries laitières aujourd’hui. Ces dernières poussent à la (sur)consommation de produits laitiers, alors que, dans le même temps, le GIEC (Groupement intergouvernemental des experts du climat) nous invite à réduire notre consommation de produits issus de l’animal. Il est désormais connu que la végétalisation de notre alimentation est l’une des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans un contexte d’urgence climatique, il semble donc crucial que les politiques incitent les consommateurs à diminuer leur consommation de viande et de produits laitiers (non l’inverse).
La Commission européenne elle-même, à travers sa stratégie De la ferme à la table, indique qu’il est nécessaire d’accélérer la transition vers une alimentation plus durable, autant d’un point de vue écologique que de sécurité alimentaire mondiale.
Dans un tel contexte, pourquoi continuer à privilégier les produits carnés, à conseiller de boire du lait et de manger des produits laitiers ? Il serait peut-être temps de revoir nos priorités…Votre santé est au cœur de vos préoccupations ? Vous serez certainement intéressé par cet article sur les perturbateurs endocriniens !
Source :
(1) https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/intolerance-lactose/definition-symptomes
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