Démantèlement du réacteur Rapsodie : retour sur son histoire

La difficulté du thème nucléaire et le fait qu’il n’était plus en service depuis 1983 ont probablement participé à ce peu d’intérêt des médias à l’égard de cette actualité. Pourtant, les enjeux derrière le démantèlement de Rapsodie sont grands et les nombreuses péripéties depuis sa construction dans les années 1950 témoignent du casse-tête qu’il représente à plusieurs niveaux. retour sur l’histoire mouvementée de ce réacteur nucléaire.

Le réacteur Rapsodie, qu’est-ce que c’est ?

Rapsodie, c’est le nom poétique donné au premier réacteur nucléaire à neutrons rapides et à caloporteur sodium construit en France, dans une ville des Bouches-du-Rhône. Derrière cette expression complexe se cache un processus expérimental qui permettrait de recycler le combustible nucléaire.

Quelques explications s’imposent. Pour faire fonctionner un réacteur nucléaire « classique », on fait appel à la fission du plutonium et de l’uranium, et au refroidissement à l’eau. Une fois utilisés comme combustibles, ces derniers peuvent de nouveau être traités, ce qui permet de leur donner une seconde vie et d’en réutiliser une partie dans les centrales. Le mélange obtenu – qu’on appelle MOX, pour « mélange d’oxydes » – constitue environ 10 % du combustible nucléaire à l’heure actuelle. En revanche, une fois recyclé et réutilisé une première fois, ce MOX a terminé son cycle de vie, les matières se dégradant au fil des passages dans les réacteurs. Pas besoin de chiffres et d’études par milliers pour se rendre compte que la faible durée de vie de ces combustibles est un problème, tant parce qu’il faut par la suite traiter ces déchets nucléaires que parce qu’il faut trouver toujours plus de combustibles.

Grâce au sodium utilisé pour son refroidissement, le réacteur Rapsodie avait pour but de recycler de manière infinie le plutonium et donc de créer du combustible autant qu’il en consomme. L’expérience devait permettre d’instaurer une économie circulaire dans le secteur du nucléaire : l’effet papillon aurait ainsi permis un meilleur rendement nucléaire et une production de déchets amoindrie année après année.

Mis en service en 1967 et particulièrement prometteur pour le milieu de la recherche, le réacteur Rapsodie a fonctionné pendant 11 ans, puis de manière moins soutenue jusqu’à 1983, date de son arrêt définitif. Différents accidents et fuites de sodium ont été relevés au cours de ces années et par la suite, mais la recherche a globalement pu avancer.

Les enjeux du démantèlement

Si le démantèlement partiel du réacteur Rapsodie a été engagé dès l’arrêt de son fonctionnement, la décision du démantèlement total n’a été définitivement actée qu’en 2021. Il devrait commencer prochainement et se finir en 2030. Pourquoi tout ce temps ? « Le traitement du sodium constitue une phase très délicate dans la mesure où, à l’état liquide, le sodium explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air. » [1] Il faut donc le maintenir à l’état liquide afin de le traiter progressivement. Cela implique de faire « la vidange progressive du sodium de la cuve (dit primaire) et des circuits secondaires. Le sodium (Na) est ensuite incorporé à très petites doses dans de la soude aqueuse (NaOH). Pour finir, cette soude est confinée dans la fabrication de blocs de béton. » [2]

Des opérations délicates et coûteuses donc, d’autant plus quand on sait qu’elles consistent à démonter un projet pas vraiment abouti et pour lequel les questions restent nombreuses.

Les raisons derrière l’arrêt de son fonctionnement

En 1983 comme en 2021, le recyclage des déchets nucléaires reste un thème central et un objectif pour toute la filière. Après son arrêt, Rapsodie a été suivi par d’autres réacteurs expérimentaux plus récents et donc plus à la pointe : les réacteurs Phénix (arrêté en 2009), Superphénix (arrêté en 1997) et Astrid, qui est finalement resté au stade de projet et n’a jamais vu le jour. Diverses technologies sont à l’étude dans le monde, mais la filière du sodium étudiée en France reste l’une des plus prometteuses. Alors, pourquoi ces arrêts anticipés et abandons progressifs des prototypes ?

La réponse est, comme souvent, principalement à chercher du côté financier. En effet, l’uranium est à l’heure actuelle peu cher et on s’est récemment rendu compte que la planète en contenait encore d’incroyables réserves. Cet argument reste fragile : la construction de nouveaux réacteurs nucléaires classiques au niveau mondial en vue de limiter le changement climatique pourrait très rapidement créer des pénuries non-anticipées.

Deux fronts semblent d’affronter sur ce thème : la recherche et le budget. Et comme toujours, une telle mise en concurrence est difficilement compréhensible. Les perspectives qu’offre le recyclage du combustible sont vastes et elles pourraient, à terme, apporter de nombreuses solutions à la question nucléaire, en plus de participer à la lutte contre le réchauffement climatique. Seulement, ces technologies futures demandent du temps et de l’argent pour prendre forme. Et c’est là que le clash des visions intervient : plutôt que les voir comme un investissement environnemental majeur, les autorités françaises les perçoivent comme un investissement financier coûteux. Plutôt que chercher les solutions de demain, on s’impatiente qu’elles ne viennent pas assez vite sur le court terme.

On peut entendre que le coût pour la construction (ou le maintien) de réacteurs proposant des alternatives au schéma classique est trop élevé par rapport aux résultats effectifs et à la quantité d’électricité qui en découlera. Mais pourquoi dans ce cas ne pas chercher d’autres solutions ? En France, la filière du sodium est celle sur laquelle la recherche s’est concentrée. Avec son échec, c’est aussi l’échec de la décarbonisation rapide qui se profile. Le discours officiel est que les recherches continuent malgré ces diverses déconvenues ; toutefois, sans réacteur prototype, ces recherches resteront à l’état d’ébauches abstraites. Par ailleurs, la Chine, les USA et la Russie continuent leurs recherches sur d’autres types de réacteurs, creusant ainsi le retard avec des pays comme le nôtre. Abandonner les essais sur les technologies nucléaires futures implique que la dépendance de la France envers les autres puissances va augmenter au fil du temps.

Difficile de se réjouir du démantèlement de Rapsodie et des autres prototypes. En luttant à tout prix contre le nucléaire – et, ici, contre une option très prometteuse pour la transition énergétique –, on retire encore une autre solution contre le réchauffement climatique. Et il n’en reste déjà plus tant que ça.

[1] Techniques de l’Ingénieur – Le casse-tête du démantèlement nucléaire.

[2] Industrie & Technologies – Superphénix : le délicat traitement du sodium.

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