Eco-anxiété, comment apprendre à vivre avec ?

C’est une nouvelle peur qui s’invite au nombre de nos maux quotidiens. L’éco-anxiété touche un nombre croissant de citoyens, dans un monde où l’urgence climatique est au cœur des préoccupations. Comment la surmonter ?
Températures caniculaires, phénomènes météorologiques extrêmes, biodiversité menacée… À l’heure où le dernier rapport du GIEC tire la sonnette d’alarme sur l’avenir de notre planète, il est un phénomène qui impacte de plus en plus la santé psychique de nombre de ses habitants. L’éco-anxiété, appelée aussi solastalgie ou détresse écologique, est une manifestation que certains qualifient de mal du siècle. Comment se manifeste cette souffrance, et comment apprendre à vivre avec ?
Éco-anxiété, solastalgie : que sont ces nouvelles souffrances ?
A priori, pas besoin d’un dictionnaire pour comprendre le sens du terme « éco-anxiété », cette angoisse liée à la dégradation de notre écosystème. Pourtant, il est bon de le rappeler : l’écologie, avant d’être le cheval de bataille de notre génération, est d’abord une science. Celle de la relation entre les êtres vivants, humains comme animaux, végétaux et micro-organismes, entre eux et avec leur environnement. Et c’est bien de la peur liée à la pérennité de cette relation dont il s’agit, lorsqu’on parle d’éco-anxiété.
La solastalgie est un autre terme désignant ce type d’angoisse : étymologiquement, elle correspond à la douleur de perdre son lieu de réconfort. Ainsi, selon Glenn Albrecht, chercheur à l’origine de ce néologisme, les personnes souffrant de solastalgie éprouvent une tristesse nostalgique, ayant le sentiment de devoir faire le deuil de leur foyer. Et la douleur ressentie est liée à la clairvoyance dont font preuve les personnes atteintes de ces maux. Les angoisses fondamentales des éco-anxieux concernent un futur qu’ils savent compromis : changement climatique, catastrophes environnementales et naturelles, extinction des espèces, pollution, déforestation… Une liste terrible qui les conduit à vivre dans une forme d’anxiété d’anticipation.
Être éco-anxieux au quotidien
Il est aussi bon de rappeler ce que l’éco-anxiété n’est pas : elle n’est ni une pathologie ni une maladie mentale. Au contraire, les personnes qui en sont atteintes font preuve d’une grande lucidité, celle-là même qui les amène à éprouver de la douleur. Ce qui ne doit pas empêcher de consulter un thérapeute, car la solastalgie provoque chez les patients de nombreux symptômes qui s’expriment au quotidien.
Au titre des manifestations émotionnelles, on recense souvent la tristesse et la peur face à l’état de santé de notre planète, mais aussi le regret et la culpabilité de ne pas avoir agi avant. Évidemment, les sentiments de perte de contrôle et d’impuissance sont aussi présents et peuvent conduire à des troubles anxieux parfois violents.
D’autres répercussions viennent aussi bouleverser la vie des éco-anxieux, tant au niveau personnel que professionnel. L’éco-anxiété conduit à de nombreuses remises en question : « Est-il raisonnable d’avoir un enfant à notre époque ? Puis-je continuer à prendre l’avion ou même ma voiture ? Mon travail fait-il encore sens au regard de mes convictions ? » Des interrogations qui impactent fortement le quotidien des personnes touchées et les handicapent parfois. Quant au lien social, il peut se trouver distendu, voire brisé par des convictions ou des craintes qui n’affectent pas autant leurs proches.
La place de l’éco-anxiété dans notre société
Une prise de conscience récente
C’est en 2019 que le phénomène d’éco-anxiété prend toute son ampleur. Très peu relayé par les médias avant cette année de canicule, le mot trouve sa place en même temps que la prise de conscience brutale du changement climatique. Le terme existe pourtant dans le monde francophone depuis 1997, date de sa conceptualisation par le médecin-chercheur Véronique Lapaige. Mais il faut attendre les records de température atteints durant l’été 2019 pour que l’on réalise violemment les conséquences de l’action (et de l’inaction) humaine sur la santé de notre planète. Les confinements de 2020 ne feront que confirmer l’émergence de l’éco-anxiété en France, de même que la parution du rapport du GIEC en avril de cette année ou les incendies de cet été. Et depuis, ce sont de nombreuses personnes, fortement ébranlées, qui franchissent la porte des thérapeutes pour tenter de soulager cette détresse nouvelle.
Un profil d’éco-anxieux ?
Ces personnes éco-anxieuses, qui sont-elles ? Même s’il n’existe pas de profil-type, certaines catégories de population sont plus touchées que d’autres. Il s’agit notamment des femmes, des personnes diplômées et CSP+, des citadins, mais aussi des professionnels et étudiants des secteurs liés aux sciences humaines (social, santé, éducation) et au développement durable. Les peuples autochtones, évoluant en contact et au rythme de la nature, sont également fortement impactés par les changements qu’ils vivent au quotidien.
Les questionnements liés à l’environnement prennent surtout une importance considérable dans une population jeune, celle des millenials qui voient leur avenir sous un jour sombre. Une problématique qui n’avait pas cours chez leurs aînés, mais avec laquelle ils doivent apprendre à vivre… et agir.
Agir pour aller mieux
Car la clé pour apprendre à composer avec l’éco-anxiété réside probablement dans l’action. Cette souffrance nouvelle n’est ni à minimiser, ni à traiter comme une pathologie ou une fragilité mentale. Bien au contraire, elle constitue une réaction saine et un formidable levier de passage à l’action, pour faire sa part de colibri. Encore faut-il arriver à se libérer d’une souffrance trop intense qui peut parfois conduire à une forme de paralysie. Pour cela, verbaliser ses émotions est un nécessaire premier pas. Au-delà de l’expression et de l’accueil de ses sentiments, c’est ensuite un véritable travail de deuil qui doit s’engager, pour parvenir à s’adapter à cette nouvelle réalité et devenir plus résilient. Puis vient le temps de l’action : inutile de vouloir tout faire, ou trop en faire, au risque de nourrir de la culpabilité. Mais on peut choisir de se tourner vers des actions concrètes : manifester, agir au sein d’une association, changer son alimentation, se reconvertir dans un métier qui nous correspond… Tout ce qui peut procurer de la satisfaction, de la joie, du plaisir tout en faisant sens est un extraordinaire moteur.
Finalement, doit-on réellement qualifier l’éco-anxiété de mal du siècle, ainsi que certains l’écrivent ? Si l’on ne peut nier la souffrance que cette conscience aiguë de l’avenir induit chez nombre d’entre nous, et qui doit être prise en charge… N’est-elle pas le moteur qui nous poussera collectivement à une action bénéfique ?
Charline Schmerber est praticienne en psychothérapie, spécialisée sur les éco-émotions. Elle est également l’auteur du « Petit guide de survie pour éco-anxieux », paru en septembre 2022 aux éditions Philippe Rey
Échooo : En tant que psychothérapeute, qu’est ce qui vous a amené à vous spécialiser dans les troubles liés à l’éco-anxiété ?
Charline Schmerber : il n’existe pas de formation spécifique sur l’éco-anxiété. C’est une thématique qui m’a intéressée et sur laquelle je suis restée focalisée suite à ma propre prise de conscience écologique, une vraie crise existentielle. En tant que psychothérapeute formée en analyse psycho-organique, je recevais tout type de patients. Lors de cette crise, je me suis demandée ce que je pouvais faire, ce qui avait du sens pour moi. Agir étant un bon remède, j’ai choisi d’ouvrir mon cabinet à d’autres personnes éco-anxieuses. Ça a été ma première action, pour apprendre à vivre avec ma propre éco-anxiété.
Puis, avec d’autres collègues, nous avons créé le RAFUE, le Réseau des professionnels de l’Accompagnement Face à l’Urgence Écologique. Cette association est là pour apporter des réponses au grand public, proposer un annuaire des thérapeutes sensibilisés à ces problématiques et créer du lien entre ces professionnels de l’accompagnement.
Ma dernière action a été de rédiger le « Petit guide de survie pour éco-anxieux », pour permettre aux gens de travailler sur leur éco-anxiété de manière autonome.
L’éco-anxiété m’a finalement amenée à faire plein de choses positives et de belles rencontres : je suis une éco-anxieuse qui va bien !
E. : Chez vos patients éco-anxieux, quels types de peurs reviennent le plus souvent ?
C.S. : Cette éco-anxiété a souvent des répercussions fonctionnelles chez les personnes. Elle va venir bouleverser leur vie personnelle, professionnelle et sociale. Chez beaucoup de personnes revient la question d’avoir un enfant ou pas, liée à la fois au risque de surpopulation et à l’empathie ressentie pour ce que pourraient vivre les futures générations.
De nombreux patients remettent aussi en question leur vie professionnelle, à cause d’une perte de sens et de motivation à faire un bullshit job ou un métier éloigné de leurs propres valeurs. Ils ressentent alors une dissonance cognitive très importante, c’est-à-dire une inadéquation entre leurs actions et leurs valeurs.
L’éco-anxiété a également un impact sur la vie sociale. Mes patients ont tendance à attendre que leurs proches regardent le monde de la même manière qu’eux et essaient de les embarquer, parfois sous forme d’injonctions. Or chacun a ses propres mécanismes de défense, et cela peut générer des difficultés dans les liens.
Enfin, le thème de la culpabilité revient beaucoup chez les patients, concernant leur propre impact écologique, parfois pour la moindre action. Ressort également une grande inquiétude des parents quant à l’avenir de leurs enfants, mais aussi une colère sourde contre l’inaction des institutions.
E. : Dans votre parcours personnel, vous avez choisi d’agir pour apprendre à vivre plus sereinement. Quels conseils donneriez-vous à une personne souffrant d’éco-anxiété ?
C.S. : Mon premier conseil serait de pouvoir mettre des mots sur ce que l’on vit, peu importe avec qui, professionnel de l’accompagnement ou pas.
Ensuite, il est important de trouver ce qui fait sens avec sa propre personnalité et mettre en place des actions individuelles ou collectives. Cela permet de sentir que l’on contribue au monde, tout en restant humble par rapport à notre impact personnel.
Une autre piste est celle de la reliance avec le vivant. Des études scientifiques montrent qu’une pratique comme la sylvothérapie (soin au contact des arbres) réduit le taux de cortisol et favorise la santé mentale. Et s’émerveiller du monde vivant donne aussi envie d’en prendre soin !
Enfin, l’éco-anxiété est une opportunité de travailler sur ses émotions et sa capacité à traverser de futures crises, mais aussi de lâcher la culpabilité au profit de la responsabilité. Apprendre à apprivoiser sa souffrance, c’est aussi trouver le degré qui permet de retrouver le chemin de l’action. L’éco-anxiété est une réaction rationnelle plutôt saine dans le monde d’aujourd’hui !
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