Écoféminisme, origines et montée en puissance

Si vous pensez que le terme « écoféminisme » se réduit à la simple contraction des mots « écologie » et « féminisme », détrompez-vous ! On aurait également tort de le cantonner à un pseudoconcept à la mode. Mais alors, l’écoféminisme, qu’est-ce que c’est, au juste ? En explorant sa genèse, vous comprendrez mieux ce que dénonce ce mouvement – né il y a plus de 40 ans déjà – et ce qu’il continue de bâtir. S’il remet en cause la traditionaliste mécanique dominatrice masculine, il doit aussi faire face aux enjeux pluriels et brûlants de la crise environnementale mondiale. Dans quelle mesure peut-il contribuer à un avenir durable et équilibré pour la planète ?

Quelle est l’origine de l’écoféminisme ?

Françoise d’Eaubonne, pionnière française du mouvement écoféministe (1920-2005)

C’est en 1974, sous la plume de cette prolifique écrivaine militante, dans son ouvrage Le Féminisme ou la mort (édité par Pierre Horay), que le terme d’écoféminisme apparaît. Elle a milité pour de nombreuses causes telles que l’abolition de la peine de mort ou l’indépendance de l’Algérie, mais aussi l’antipsychiatrisation, les droits homosexuels, la sortie du système capitaliste et la décroissance. 

En plus de l’endommagement du réacteur en construction de la centrale nucléaire de Fessenheim en 1975, elle a également participé à des activités « plus musclées ». 

Cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) en 1968, Françoise d’Eaubonne fonde l’association Écologie-Féminisme, dont l’objectif n’est pas la prise de pouvoir par les femmes, mais un nouvel humanisme basé sur la gestion égalitaire d’un monde à renaître.

D’autres figures de l’écoféminisme multiculturel et transgénérationnel

  • Miriam Simos, dite Starhawk, « la sorcière américaine ».

Née en 1951, cette écrivaine est une militante écologiste. À travers un courant plus spirituel en lien avec la terre autant que pacifiste, elle instaure un modèle de manifestations écoféministes (happening pacifique). Elle fait partie des 2 000 femmes ayant encerclé le Pentagone de danses, de chants et de fils tissés pour protester, en 1980, contre la course à l’armement nucléaire. 

  • Wangari Muta Maathai (1940-2011), surnommée « la femme qui plantait des arbres ».

Cette fille de fermier kényan est la première femme africaine diplômée d’un doctorat en biologie aux États-Unis. Son mouvement fondé en 1977 – le Green Belt Movement – perpétue sa lutte contre la déforestation et l’érosion des sols en faveur d’un développement durable.

  • Vandana Shiva, cultive la philosophie du vasudhaiva kutumbakam : la Terre comme une seule famille. Née en Inde en 1952, cette enseignante et écrivaine protège les arbres via son mouvement Chipko. Il évite qu’ils ne soient rasés en les enlaçant et s’y attachant. Défenderesse de l’agriculture paysanne traditionnelle, elle s’oppose aux OGM et à la brevetabilité du vivant, clamant que « l’homme ne possède ni la femme ni la Terre ».
  • Greta Thunberg initie en 2018, à l’âge de 15 ans, « la grève scolaire pour le climat ».
Greta Thunberg, figure emblématique de l'écoféminisme

Dès lors, cette jeune Suédoise activiste, née en 2003, très médiatisée, mobilise les jeunes étudiants du monde entier pour lutter contre le réchauffement climatique, depuis son discours aiguisé face aux dirigeants de l’ONU, « How dare you? ». 

Agir bien au-delà de l’écologie et du droit des femmes 

Plus radical que le féminisme, ce mouvement proactif sait faire « feu de tout bois ». Il dénonce la prédation engendrée par le capitalisme patriarcal sur notre système écologique, économique et social. Ce mécanisme dominant serait l’origine commune de l’exploitation des femmes et de la nature, ainsi que la racine fondamentale de la crise écologique. 

Souvent appelé « le féminisme de la troisième vague », l’écoféminisme exige de s’interroger sur les fondements même de tous nos écosystèmes. Il développe une analyse politique de la crise écologique. Les fruits de ce courant de pensée, à vocation universelle et pacifiste, raisonnent par-delà « l’ouverture à la conscience » des urgences planétaires. 

On parle même d’intersectionnalité, une méthodologie sociologique. Plutôt que d’étudier les formes de domination et de discrimination séparément, il s’agit de les croiser dans leur intersection. Ce courant considère que le racisme, le sexisme, l’homophobie, l’injustice sociale, le clivage de la « limite Nord/Sud », sans oublier l’extractivisme des ressources naturelles, sont liés par des mécanismes analogues d’oppression. 

L’objectif commun : interconnecter ces causes pour lutter efficacement, repenser les systèmes et sauver la biodiversité en activant les possibles.

Faire fi des critiques et continuer d’agir

Elles ne sont pas uniquement l’adage des climatosceptiques. D’où qu’elles proviennent, ces critiques tentent de diaboliser la vague écoféministe pour l’aseptiser. Les luttes de ce mouvement agitent malgré tout la planète depuis des décennies. Galvanisées par le « vivant », une des essences féminines, elles ne semblent pas près de s’éteindre !

À la croisée de ses combats, l’écoféminisme est un cri de ralliement qui passionne autant qu’il divise. Il est parfois jugé trop ésotérique, trop essentialiste, trop radical ou trop idéaliste.

Pourquoi ne pas dépasser ces raccourcis clivants pour davantage se fédérer autour d’actions concrètes et durables ? Voilà qui pourrait être plus efficient, si l’humanité veut pouvoir atteindre l’ambition commune de sauver le globe ! L’écoféminisme s’y emploie.

➡️ À lire aussi : La transition écologique : ce qui a changé ?

Quand l’écoféminisme prend de l’ampleur pour secourir la planète

Cet outil pour repenser et vivre l’humanité et la nature autrement est le signe de mutations profondes, concrètement en marche. De plus en plus de militantes multiplient leurs actions éthiques, pour les porter pacifiquement sur tous les fronts. Plus les besoins du monde en matière d’écoresponsabilité sont grandissants, plus l’écoféminisme semble décupler sa mobilisation.

femmes en train de manifester pour le climat

Des inégalités grandissantes à rééquilibrer

Les changements climatiques exacerbent les inégalités. Les femmes des groupes socio-économiques défavorisés souffrent de manière disproportionnée des impacts environnementaux négatifs. L’écoféminisme dénonce, se mobilise et influence la mise en place de mesures pour protéger le plus fragile du vivant. Il contribue :

  • à informer et à éduquer les populations les plus oubliées ;
  • à promouvoir des lois au sein des institutions gouvernementales qui renforcent l’encadrement de ces phénomènes.

Face aux guerres

Le corps des femmes est utilisé telle une arme de guerre par les assaillants d’un conflit armé : le viol et la torture « récompensent » le combattant victorieux. Les grossesses issues du viol implantent l’ennemi et l’humiliation au plus profond du corps des femmes, traumatisant ainsi des générations entières de la population.

Face aux catastrophes naturelles

Selon un rapport de l’ONU et de la Global Gender and Climate Alliance, les femmes auraient quatorze fois plus de risques que les hommes de mourir lors d’une catastrophe naturelle. Le tsunami de 2004 – l’une des catastrophes naturelles les plus meurtrières avec plus de 280 000 morts sur 14 pays – en est un exemple frappant. Elles comptaient pour 80 % en Indonésie, 73 % dans le sud de l’Inde et 65 % au Sri Lanka. Les raisons sont souvent culturelles et économiques. Par exemple :

  • On apprend plus facilement aux hommes qu’aux femmes à nager et à grimper aux arbres. 
  • Les hommes migrent vers des emplois urbains plus rémunérateurs afin de nourrir leurs foyers, pendant que leurs femmes restent plus isolées, à s’occuper des habitats, des récoltes, des anciens et des enfants. 

Face aux pollutions environnementales

Il s’agit d’empêcher le transfert de déchets dangereux des pays développés vers le tiers-monde (le plus souvent traités par des femmes ou des enfants). Des dommages inéluctables sur la santé des populations se produisent.

Face à l’injustice sociale

Des inégalités de classe et de genre, propres à chaque pays, demeurent et se creusent (par exemple, dans les pays du Sud, majoritairement agricoles, seulement 15 % des femmes sont propriétaires des terres dans lesquelles elles travaillent, selon la FAO). S’ajoute l’exploitation des travailleurs des pays pauvres par les pays développés.

Face à l’inégalité dans la répartition des tâches

Une étude suédoise, parue dans le Journal for Industrial Ecology, révèle que les hommes auraient des habitudes plus polluantes que les femmes.

➡️ Pour compléter, lisez l’article Qu’est-ce qu’un écolieu ?

Les femmes accorderaient instinctivement une plus grande priorité à la réduction de leur empreinte écologique et à la protection de l’environnement naturel. Prenons garde, néanmoins, à ne pas enfermer les femmes dans un rôle de « fées de la planète ». La plupart du temps, dans leur quête du bien-être et du mieux manger, il leur incombe le surcroît de tâches domestiques liées aux « bonnes pratiques » écoresponsables (couches lavables, repas faits maison, produits d’hygiène et d’entretien DIY, etc.). Une bonne répartition des tâches s’impose entre les genres contre cette nouvelle « charge mentale écologique ».

Les mille et une missions de l’écoféminisme 

Quel est le point commun de toutes ces pratiques quarantenaires ? Trouver un équilibre entre « lutter contre » et « œuvrer pour » :

  • L’abolition de tous les systèmes de valeurs dominants, générant des compétitions sans fin au détriment des « subordonnés » ;
  • la réinvention de la vie communautaire, des cercles de parole, de l’entraide, de l’interdépendance, de la conscience des limites ;
  • la réappropriation des rythmes du corps, des spiritualités de la terre, de l’immanence, de la vie organique ;
  • la mobilisation contre les projets écocides et toutes formes d’oppression ;
  • la revalorisation des apprentissages de savoir-faire artisanaux versus l’industrialisation de masse ;
  • la relocalisation des productions ;
  • la déconsommation drastique pour parvenir à une économie décarbonée ;
  • la réhabilitation de la sobriété, l’humilité, la vulnérabilité, la sensibilité, l’empathie, la proximité, la puissance des émotions. 

Autant d’aspects de la condition humaine, reliés à son concept majeur du Reclaim, « incarné dans des corps et intégré dans des environnements ».

Ne dit-on pas que les femmes portent le monde ? Face aux désastres écologiques annoncés, restant inspirées par notre terre nourricière et protectrice – la Patchamama –, il y a fort à parier qu’elles ne sont point près de s’arrêter ! L’écoféminisme est un espace de rencontres, où convergent politique, philosophie et éthique. Il répond à l’exigence d’une nouvelle rationalité, plus respectueuse du vivant. Il trace les contours d’un futur viable, désirable et ensemble. Ses pratiques et ce qu’il véhicule contribuent à un monde nouveau, plus paisible, plus inclusif et plus durable pour sortir enfin de la mécanique du « prendre, utiliser puis jeter ».

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. » (Antoine de Saint-Exupéry)

Sources :

Rapport de l’ONU

Rapport de la Global Gender and Climate Alliance, de l’alliance ONU-ONG.

L’écart entre les sexes dans les droits fonciers de la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *