Rencontre avec Julien Le Guet, porte parole du collectif Bassines non merci

Le combat contre les bassines, ou retenues de substitution d’eau, dans l’ouest français prend, année après année, une ampleur et une force surprenantes. L’enjeu est, pour les opposants au projet, une défense de la nature, de l’environnement, du monde agricole et des citoyens.

Pour certains, l’implantation de ces gigantesques réserves d’eau à vocation d’arrosage et d’irrigation de cultures céréalières est pleine de contradictions, d’inexactitudes scientifiques et de dangereuses manipulations sur la réalité des nappes phréatiques. Au sein de cette contestation, le collectif Bassines non merci (BNM), a rapidement surgi. Sa position, ses prises de paroles et ses actions sont aujourd’hui connues du grand public. D’ailleurs, le rassemblement « le printemps maraîchin », créé fin mars dernier dans le marais poitevin, a réuni des milliers de personnes.

Longtemps marginalisé par les défenseurs de ces bassins, ce collectif commence à trouver des alliés parmi les chercheurs, les biologistes, les scientifiques de renom, les personnalités ou les citoyens de tous horizons. La sécheresse importante de cette année met en exergue la dangerosité longtemps énoncée par le collectif.

Julien Le Guet, bachelier indépendant de 45 ans, est le porte-parole du collectif Bassines non merci. Habitant du Marais poitevin, il traduit avec force, conviction et charisme les attentes de ce mouvement. Nous avons voulu le rencontrer pour découvrir l’homme derrière le militant, ses combats et ses aspirations.

Échooo : Pour commencer Julien, pourquoi un tel engagement dans le collectif BNM ?

Pour les paysans, les défenseurs de l’écologie, les citoyens. On assiste à une privatisation de l’eau. Cet accaparement est un maintien sous perfusion d’un système à réformer d’urgence. On sait que l’agro-industrie est responsable de la disparition de la biodiversité dans les campagnes, de l’empoisonnement des eaux, des gens qui travaillent la terre. Il faut mettre le holà ! Cette forme d’industrie est condamnée à très brève échéance, il faudrait qu’elle cesse, avant que tout cesse.

Un de mes moteurs forts, dont je témoigne souvent (et pourtant je ne suis pas vieux), est l’écroulement d’espèces animales communes sur mon territoire. Je vous parle ici d’espèces de grenouilles qui disparaissent, de libellules ou de lentilles d’eau qu’on ne voit plus. Tous ces animaux jouaient le premier rôle dans la carte postale du Marais poitevin.

Julien Le Guet de Bassines non merci navigant de dos sur le marais Poitevin

Échooo : Votre vision ne concerne-t-elle que le Marais poitevin ou est-elle plus globale ?

Les bassines ne sont que le symptôme d’un système global. Ce qui est remis en cause, c’est notre manière de vivre au quotidien, la façon dont on se nourrit, ainsi que notre rapport à la terre. Ce militantisme puise ses racines dans une volonté de récupération de la biodiversité. On est beaucoup à penser dans ce sens. Ensemble, on parle de nos enfances, de ce qu’on a vu disparaître, de ce qu’on continue à voir disparaître.

Ce qu’on partage, c’est la prise de conscience que tout ça a un lien avec l’agro-industrie. Le système agricole tel qu’il est pratiqué, l’usage de pesticides avec les disparitions de toutes les infrastructures naturelles de type haie, fossé, petit muret ont des incidences certaines sur la faune de nos campagnes. L’accélérateur de désertification de notre territoire est clairement la nature de l’agriculture pratiquée, on épuise les sols, on enlève toute trace de matière organique.

Echooo : D’où vous vient cet engagement ? Pourquoi vous, plus que quelqu’un d’autre ?

Je ne sais pas… Il y a quelques années, j’ai décidé de me consacrer à cette lutte. Mais je ne suis pas le seul, mon nom ressort plus que les autres, car en tant que porte-parole, je me retrouve face aux médias, devant les caméras ou les micros. Cependant, je ne suis que la face visible d’un iceberg de milliers de militants et de citoyens attentifs.

Échooo : Quelque chose dans votre enfance alors qui expliquerait cette prédisposition ?

J’ai eu, il est vrai, un terreau familial fertile avec des parents investis dans la vie de leur commune, tant professionnellement que politiquement. Petit, je les accompagnais dans les camps d’ado qu’ils animaient à côté de leurs métiers d’enseignants. Imaginez 30 loulous immergés dans une nature foisonnante et qui se prenaient pour Tom Sawyer ! Dès mon enfance, j’ai perçu l’importance du contact à la nature pour tous, et combien elle nous fait du bien.

Puis j’ai continué à être sensibilisé en grandissant. Comme toute ma génération, j’ai « mangé » du Cousteau, du Nicolas Hulot, dans une époque de prise de conscience mondiale des enjeux planétaires, aux prémices du réchauffement climatique.

Échooo : Avez-vous fait des études en rapport avec ces questionnements ?

Oui, mes études en biologie sont en lien avec ma prise de conscience de l’érosion de cette biodiversité et de son importance grandissante. Je suis entré en fac de bio parce que je voulais mettre un nom derrière chaque insecte que je côtoyais. La classification animale et la compréhension de l’évolution me fascinaient et m’ont amené à passer une maîtrise de biologie des populations et des écosystèmes. Je n’aspirais qu’à une chose : aller sur le terrain. Durant mon service militaire, que j’ai effectué comme objecteur de conscience, j’ai été accepté au Parc du Marais poitevin. L’expérience m’a plu, j’y suis d’ailleurs resté au-delà de la période obligatoire.

Échooo : Pour revenir à votre engagement contre les bassines, où en êtes-vous précisément ? Y a-t-il aujourd’hui une discussion, une ouverture avec les pouvoirs publics ?

Rien du tout ! Pour l’instant, on est dans la crispation des positions de part et d’autre. Le gouvernement n’a pas laissé entendre la moindre négociation possible. De notre côté, nous tenons notre position. À chaque chantier de bassine démarré, nous sommes présents pour contester et nous y opposer. Aujourd’hui, en France, la notion de guerre de l’eau n’a jamais été aussi forte. Certaines photos prises récemment près de bassines sont dignes des conflits armés d’une autre époque.

Échooo : Y a-t-il eu proposition de discussion de votre part et si oui, de quelle manière ?

De manière protocolaire, aucune. Nous avons cependant invité Madame Emmanuelle Dubée, l’actuelle préfète des Deux-Sèvres, à nous rencontrer dans le marais. Nous aimerions lui montrer de façon concrète ce qui nous anime. Malheureusement, cette proposition est restée sans suite.

Échooo : Quelles sont vos aspirations face à cette inertie ? L’homme derrière le militant a-t-il encore des ressources pour continuer le combat ?

Bien évidemment, la volonté est que cette lutte soit victorieuse. Je le répète, il y a une véritable urgence à réformer très rapidement l’agriculture. À titre personnel, je préférerais mettre mon énergie à construire un monde vivable et satisfaisant pour tous, plutôt que de continuer à lutter contre ces projets dinosaures. Les gens aux commandes réfléchissent comme à l’époque des fossiles ! Nous devons les convaincre de la réalité de l’érosion de la biodiversité. Ils pensent encore qu’ils peuvent s’affranchir des nombreuses études d’impact et ne tenir aucun compte de tous les avertissements qui leur sont adressés.

Julien Le Guet de face, sa rame à la main comme un bâton de lutte contre les bassines dans l'ouest de la France

Échooo : À quoi aspire aujourd’hui le citoyen Julien Le Guet ?

Mes aspirations se portent sur un partage équitable des ressources et je défendrai toujours la biodiversité. J’aspire également à ce que dans chaque commune, il y ait des réunions où les citoyens puissent échanger, décider et agir ensemble face à des problèmes constatés, avec leurs propres solutions. Idéalement, j’aimerais écarter toute démarche attentiste vis-à-vis des pouvoirs publics et des élus, et collaborer à une démocratie en mouvement.

Échooo : Adhérez-vous à un parti politique ?

Je ne suis pas partisan, je n’ai jamais eu de carte à aucun parti. J’ai beaucoup d’affinités avec certains partis de gauche, mais je conserve une liberté politique. Beaucoup aimeraient me coller une étiquette, notez au passage que pour la LFI, je suis écolo et que pour les écolos, je suis LFI (La France Insoumise, NDLR).

Échooo : Pour finir, le militant en vous se confronte-t-il parfois à vos aspirations d’homme ?

L’homme doit prendre soin de sa famille, être plus présent, plus attentionné. Quant au militant, il se sacrifie, lui, mais également ses proches. Le militant prend beaucoup de place…

Échooo : Si c’était à refaire ?

Je recommencerais sans hésiter ! Le combat pour l’eau est tellement crucial, il est fondamental. D’ailleurs, nous en avons eu la confirmation cet été avec des pics de chaleur inédits, des régions asséchées ou dévastées par des incendies.

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