Le loup et la biodiversité : faut-il célébrer le retour du canidé ?

Disparu depuis près d’un demi-siècle, le loup fait son grand retour en France. Les associations de chasseurs et les éleveurs s’insurgent, tandis que des études récentes démontrent un lien bénéfique entre le loup et la biodiversité.

Le loup et la biodiversité : l’exemple de Yellowstone

En 1995, une opération de réintroduction du loup a été menée dans le grand parc naturel de Yellowstone, aux États-Unis. Une démarche qui fut couronnée de succès. Le but initial était simplement de réhabiliter une espèce en déclin après les campagnes d’extermination qui avaient décimé les populations de loups dans le pays depuis les années 1930. Cependant, d’autres conséquences positives inattendues ont été observées après la mise en place de cette initiative.

Une étude notoire réalisée en 2018, et basée sur 40 années de recherches dans les forêts de Yellowstone, a mis en évidence une augmentation de la richesse des écosystèmes au sein du parc depuis la réintroduction du loup. Ce grand prédateur a régulé des espèces d’ongulés, comme les wapitis notamment, qui dominaient cet écosystème, causant des dommages considérables sur la végétation. Celle-ci a maintenant pu reprendre ses droits, des saules et des peupliers ont recommencé à émerger du sol.

En outre, les loups permettent désormais à d’autres espèces de Yellowstone de passer l’hiver en s’attaquant régulièrement à des proies comme les élans, dont ils laissent une partie gésir au sol. En d’autres termes, ils facilitent le travail aux coyotes et vautours, qui survivent mieux à la saison froide grâce à ces repas servis sur un plateau.

« Néanmoins, un tel miracle écologique n’est possible que dans un cadre comme celui des forêts de Yellowstone », tempère Mark Boyce, professeur en sciences biologiques à l’Université d’Alberta. Un tel effet a pu se produire en raison de l’absence totale d’intervention humaine après le relâchement des loups en ces lieux. En territoire occupé par les humains, comme c’est le cas d’une immense partie de la planète, l’élevage et l’agriculture pourraient perturber le processus de rééquilibrage des écosystèmes. Cependant, cette expérience prouve bel et bien que le loup et la biodiversité sont étroitement liés. Dans la nature, si l’on enlève un maillon de la chaîne, l’équilibre se casse.

L’intérêt écologique du loup démontré par les études récentes

Aujourd’hui, le loup commence à refaire surface sur le territoire français. Victime d’une chasse massive, il avait été totalement éradiqué de nos campagnes. Mais il y a quelques années, venu de l’Est, il est finalement réapparu en Croatie. Puis, traversant la chaîne alpine, il a de nouveau élu domicile en Italie et en Suisse jusqu’à arriver en France. On recense, à ce jour, près de 600 individus. Un loup gris a d’ailleurs été repéré le 14 mai 2021 sur la côte vendéenne, à Jard-sur-Mer. Le peuple français, les bergers et chasseurs du pays s’inquiètent, voire s’indignent de cette présence. À l’heure actuelle, au sein de l’Hexagone, le loup est toujours considéré comme une menace pour le bétail, ni plus ni moins.

Pour autant, le rôle essentiel de ce grand prédateur sur l’équilibre des écosystèmes a été souligné à maintes reprises par la communauté scientifique, notamment dans un article publié récemment dans Le Journal du CNRS [1]. L’appétit des cervidés comme les chevreuils et les cerfs engendre des dégâts de grande envergure sur la végétation. Aussi, à la suite de la disparition du loup de nos contrées, une part considérable de buissons, jeunes pousses d’arbres et même de cultures humaines n’avaient plus le temps de se régénérer correctement. Or, en tant que prédateur de ces herbivores sauvages, le loup permet de rétablir l’équilibre dans les montagnes européennes. Ce phénomène a été largement occulté par les médias, contrairement à celui de la mortalité au sein des troupeaux liée au retour du canidé, sur lequel, à l’inverse, ils se focalisent intensément.

En dépit de son statut d’espèce protégée en France et en Europe, le loup gris est toujours victime des balles de fusil des hommes. Car paradoxalement, un prélèvement de 17 à 19 % de la population est autorisé selon un quota fixé chaque année. D’après la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement en Auvergne-Rhône-Alpes, pas moins de 98 loups ont été abattus en France en 2019. Pendant ce temps, l’opposition des mouvements écologistes ou de défense des animaux comme l’ASPAS demeure globalement ignorée. Le sujet continue de soulever la controverse, malgré un lien positif pourtant établi entre le loup et la biodiversité.

Le cas de l’Italie montre qu’une cohabitation avec le loup est possible

Depuis des siècles, le loup est diabolisé en France, où il est perçu comme un être mauvais, agressif, l’ennemi qui décime le bétail. De nombreux contes et histoires pour enfants sont d’ailleurs le reflet de cette vision. Toutefois, l’origine de ces croyances autour du loup est vraisemblablement d’ordre culturel. La perception de ce majestueux prédateur sauvage est bien différente dans d’autres pays.

C’est notamment le cas en Italie. Comme évoqué précédemment, le loup a regagné le nord de la péninsule italique depuis la Croatie en traversant la chaîne des Alpes. Un récent documentaire diffusé sur la RAI, le principal groupe audiovisuel du pays, parlait de ce retour et de la réaction des bergers vivant en haute montagne. Il a été dit que les résidents alpins considéraient que la perte occasionnelle d’une brebis n’était autre qu’un tribut légitime à payer à Dame Nature. Un point de vue bien différent de la mentalité française…

En outre, nos cousins d’outre-Alpes sont conscients du rôle important du loup sur la biodiversité. Ils savent pertinemment qu’en son absence, les herbivores de haute montagne comme les chamois et bouquetins prolifèrent, dévorant la végétation. Les chevreuils, quant à eux, gourmands sans pareil, raffolent de toutes sortes de végétaux, y compris des cultures des humains. De ce fait, la présence du loup est tout à fait tolérée en Italie. On en comprend l’intérêt. Il en va d’ailleurs de même pour l’ours. Alors, plutôt que de chasser ces grands prédateurs, on préfère installer des dispositifs autour des jardins et maisons pour les empêcher de venir se régaler de ses provisions. Les clôtures électriques, par exemple, sont suffisamment dissuasives. Une solution intéressante qui permet une cohabitation équilibrée. Ainsi, le loup régule les espèces d’animaux sauvages sans toutefois toucher aux élevages.

Par ailleurs, des experts italiens ont pu constater que les attaques subies par les ovins et bovidés des bergeries alpines étaient souvent l’œuvre de chiens enragés et non de loups. La preuve ? En tant que prédateur sauvage aguerri, le loup mord de façon à tuer sur-le-champ, en un seul coup. Le chien, élevé dans la domesticité et le confort des repas servis par ses maîtres, manque d’expérience en matière de chasse. Or, bon nombre de brebis retrouvées mortes sont frappées en de multiples endroits, ce qui atteste que l’assaillant a eu besoin de s’y reprendre à plusieurs fois… Le loup, un danger pour le bétail ? Cette affirmation est décidément à nuancer.

[1] Le Journal du CNRS. Des loups, des cerfs… et nous : https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-loups-des-cerfs-et-nous?

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