Le permafrost : le point de non-retour dépassé ?

Depuis quelques années, les scientifiques nous alertent sur les risques liés à la fonte du permafrost – pergélisol en français. Virus, nouvelles émissions de gaz à effet de serre… Parmi les conséquences du réchauffement climatique, ce phénomène doit-il faire partie des plus grandes sources d’inquiétude ? Focus sur le pergélisol et son dégel progressif.
Qu’est-ce que le permafrost ?
La glace présente sur notre globe ne se situe pas toujours en surface, sur le sol ou les sommets enneigés. Outre les glaciers et la banquise, il existe une couche de glace partiellement souterraine située dans certaines régions terrestres : le permafrost. On le trouve notamment en Russie, en Alaska, au Canada et au Groenland. Le phénomène se rencontre dans le nord de ces régions situées dans les hautes latitudes.
Le pergélisol est une nappe gelée recouverte par deux couches supérieures. En clair, il est constitué d’une couche de glace à la surface du sol, sous laquelle se trouve une strate de terre, appelée « couche active », qui elle-même abrite la partie gelée. La couche de terre protège cette glace souterraine. La couche de glace superficielle, quant à elle, dégèle en été et laisse place à la végétation.
Est considéré comme du permafrost tout sous-sol naturellement gelé qui se maintient à une température inférieure à 0 °C pendant une durée de deux ans minimum. Le permafrost représenterait environ 20 % de la surface terrestre et 25 % des terres de l’hémisphère Nord. Dans le nord de la Suède, le pergélisol – qui peut atteindre environ 10 mètres de profondeur – est apparu quelques milliers d’années en arrière. En Sibérie, il mesure jusqu’à 1 kilomètre d’épaisseur et serait vieux de centaines de milliers d’années.
Le pergélisol fond comme neige au soleil…
Vous l’aurez compris, le permafrost n’est pas entièrement exposé au soleil. Pour autant, différentes équipes de chercheurs et d’experts, aux quatre coins du nord de la planète, s’inquiètent de sa fonte progressive.
Une équipe de chercheurs du Canada a découvert, en 2019, que les îles Arctiques du Canada avaient commencé à se dégeler. Or, le GIEC avait prévu que ce dégel n’aurait pas lieu avant les alentours de 2090.
Pendant ce temps, au nord de la Suède, dans le marais tourbeux de Storflaket, la chercheuse Margareta Johansson observe une fonte du permafrost depuis la fin des années 2000. Elle relève que la couche active s’épaissit d’année en année. Les recherches précédentes, de surcroît, indiquent que cette couche de terre gagne environ 13 centimètres tous les 10 ans.

Du côté de la Sibérie, le chercheur Sergeï Loïko sonde lui aussi régulièrement la profondeur à laquelle se trouve la croûte de glace souterraine. En 2020, il a observé un changement notable : celle-ci se trouvait non plus à 40, mais à 55 centimètres de profondeur, rapporte-t-il à Euronews. Allons-nous bientôt toucher le fond ?
Le permafrost, un danger potentiel ?
Faut-il redouter cette fonte progressive ? La communauté scientifique pointe du doigt deux risques liés au dégel du pergélisol.
La libération de gaz à effet de serre
Non loin du petit village d’Abisko, en Suède, se trouve le plateau de Stordalen, un vaste marécage entouré de montagnes enneigées. En ces lieux, où l’air du Grand Nord suédois est habituellement si pur, des odeurs nauséabondes viennent infester les environs. L’explication ? La fonte du pergélisol entraîne des émanations de méthane, ce puissant gaz à effet de serre…
La formation du permafrost remonte à environ 8 000 ans. Lors du gel de ces terres, les animaux et plantes alors en décomposition ont été « emprisonnés » dans cette croûte de glace. Le pergélisol renferme donc une formidable quantité de matière organique, végétale et animale. Lorsqu’il fond, la hausse des températures permet aux bactéries de se réveiller, de commencer à dégrader toute cette matière et ainsi de la changer en dioxyde de carbone ou en méthane, selon le cas, nous expliquent les journalistes du CNRS.
On estime que ce sont pas moins de 1 700 gigatonnes de CO2 qui sont piégées dans le permafrost. Selon le Jet Propulsion Laboratory, centre de recherche de la NASA basé à Pasadena, en Californie, cette quantité équivaudrait à 51 fois l’ensemble des énergies fossiles émises par toute l’humanité au cours de l’année 2019. Si le dioxyde de carbone contenu dans le permafrost venait à se libérer, il va sans dire que le réchauffement climatique s’en trouverait aggravé.
Le méthane, une fois libéré, ne perdure que 12 ans dans l’atmosphère, contre des siècles pour le CO2. Mais il n’en demeure pas moins dangereux pour autant. Car en termes d’effet de serre, il est 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone !
Des virus qui sommeillent sous la glace
L’histoire, en Sibérie, d’un enfant mort de la maladie du charbon (anthrax en anglais) a fait couler beaucoup d’encre dans les journaux en 2016. En effet, alors que cette maladie avait disparu depuis plus de 50 ans, voilà qu’elle a subitement refait surface. Les scientifiques des alentours supposent qu’un cadavre de renne porteur du virus a été dégelé par la remontée des températures. Ainsi, tout un troupeau de rennes vivants a pu être contaminé, jusqu’à atteindre l’enfant.
En 2014, un couple de chercheurs de l’université d’Aix-Marseille a trouvé sous le permafrost sibérien un virus vieux de plus de 30 000 ans. Toujours contagieux, il a été nommé Pythovirus sibericum. À la suite de cette découverte, la communauté scientifique s’inquiète de voir d’anciennes maladies ressurgir d’entre les glaces (1), telles que la variole ou la grippe espagnole, qui avaient décimé les populations à leurs époques respectives.
Alors, point de non-retour atteint pour le permafrost ?
La libération de gaz à effet de serre entraînée par la fonte du permafrost est un véritable cercle vicieux. Car une fois libérés le CO2 et le méthane dans l’atmosphère, celui-ci va se réchauffer, provoquant le dégel du pergélisol qui, à son tour, entraînera la dégradation des anciens organismes piégés dans le permafrost, et donc, la libération de GES… et ainsi de suite !
Alors, est-il trop tard ? La conclusion d’une étude menée par l’université de Leeds, et publiée dans la revue Nature Climate Change, n’augure rien de positif. Même en déployant les plus grands efforts pour contenir les émissions de carbone mondiales d’ici 2040, les climats d’Europe du Nord ne seront plus suffisamment froids et secs pour maintenir le permafrost.
D’après l’expert Martin Sommerkorn, auteur principal du chapitre sur les régions polaires d’un rapport du GIEC, à ce stade, « ce n’est plus un avertissement précoce ». L’inquiétude n’est pas tant liée à la présence de virus dans le pergélisol, mais plutôt à des conséquences immédiates entraînées par les changements de température et les modifications de la structure du sol.

Au Canada, des écoles du Yukon ont dû fermer à cause de l’instabilité des sols. En Alaska, des communautés prévoient déjà d’être relogées à cause de la hausse des eaux causée par la fonte du permafrost, nous informe le GIEC. De plus, les écosystèmes sont perturbés par ces changements de température, la faune et la flore locales n’y survivent pas forcément…
En définitive, les effets néfastes sont déjà palpables. Lors de la COOP 26, qui s’est tenue à Glasgow en 2021, l’UE a annoncé une série d’engagements visant à réduire ses émissions de GES de façon plus significative. Mais à quel point les promesses seront-elles tenues ?
Source :
(1) https://www.nature.com/articles/nature.2014.14801
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