Sommes-nous trop nombreux sur la Terre ?

L’une des idées les plus répandues à l’heure des préoccupations environnementales est que les humains seraient trop nombreux sur la Terre, menaçant de fait ses ressources naturelles. L’enjeu démographique s’impose aujourd’hui aux côtés du changement climatique comme l’une des principales problématiques écologiques de notre époque, alors que les projections de l’ONU annoncent 9,7 milliards d’êtres humains en 2050 contre 8 milliards aujourd’hui.

Si l’évolution démographique à proprement parler fut de tout temps un enjeu pour les civilisations, aussi bien à l’échelle d’une ville que d’un pays, elle ne s’est réellement ancrée dans le débat environnemental qu’à partir des années 70.

L’importance de ce débat et les tensions qu’il peut susciter, tant dans la sphère intime que dans la sphère publique, mérite que nous en possédions quelques clés.

Un peu d’Histoire : organiser la Cité

Les théories démographiques et les préoccupations quant au paradigme nombre d’humains sur Terre / ressources disponibles ne datent pas d’aujourd’hui : la dernière version de l’ouvrage Chinois Chou-Li qui remonte au 5ᵉ siècle avant notre ère, indique des recensements réguliers, tous les trois ans, et des contrôles fréquents de la population, en vue d’équilibrer la répartition des lots de terre, des ressources. Il faut certainement y voir davantage une stratégie de paix sociale et de productivité qu’une quelconque utopie.

Platon quant à lui entreprenait en son temps d’estimer le niveau idéal d’une population dans une cité, soit 5 040 citoyens précisément, dans son dernier dialogue, La Loi. Là encore, il semblerait qu’il s’agisse moins d’une tentative d’équilibre vertueux que d’un enjeu de conservation d’un ordre établi, hiérarchisant la population précisément entre force de labeur et force d’administration.

Malthus et la peur du manque de ressources

Plus récemment (18ᵉ siècle), dans un contexte de menaces de famines, Condorcet, penseur français des Lumières, craint une surpopulation, source de famine et de pauvreté. Le Pasteur et économiste anglais Thomas Malthus publie dans son sillage An Essay on the Principle of Population (1798) dans lequel il s’inquiète de l’augmentation de la population mise en perspective avec l’augmentation moins rapide des ressources alimentaires. Il prône notamment un mariage plus tardif afin de limiter le nombre d’enfants, ainsi qu’un contrôle autoritariste des naissances. L’objectif est de limiter la pauvreté et d’éviter le chaos social et les révoltes. Il propose alors divers scénarios économiques en rapport avec les impératifs de son époque.

Les socialistes anglais voient alors d’un assez mauvais œil les théories malthusiennes, les associant à une volonté de préservation des biens des capitalistes et d’accroitre la propriété privée en contrôlant le nombre d’individus issus des classes « inférieures ». De nombreux et passionnés débats politiques s’ensuivront sur le fait d’encourager ou non la population à faire des enfants.

Quelques économistes critiquèrent la théorie de Malthus, jugée réductrice, car ne prenant pas en compte dans l’évolution démographique : 

  • l’amélioration de la santé ;
  • les progrès modernes permettant plus de mobilité et de dispersion sur les territoires ;
  • ainsi que l’évolution et les capacités de transition des systèmes productifs alimentaires. 

Les révolutions vertes des années 60 leur donneront en bonne partie raison, la faim dans le monde ne cessant de reculer à partir de cette période. À noter que Malthus avait bien pris en compte, dans l’un de ses scénarios, la croissance agricole.

Population et environnement : les théories néo-malthusiennes

Les propositions de Thomas Malthus sont quelque peu tombées dans l’oubli avec l’amélioration des conditions de vie au 19ᵉ siècle. La seconde partie du 20ᵉ siècle et les nouvelles préoccupations démographiques les ont réactivées au travers de nombreuses théories dites néomalthusiennes.

Certains adeptes de ces théories sont allés plus loin que Malthus, voire en ont largement déformé le propos, en défendant l’interdiction aux personnes « n’en ayant pas les moyens », ainsi qu’à celles souffrant de pathologies potentiellement transmissibles, de faire des enfants. Ils prônaient l’obligation d’avorter lorsque le fœtus présente un handicap, de supprimer les soins pour les personnes ayant subi un accident ou pour les personnes âgées, etc.

Si le nom de Malthus est invoqué dès lors qu’il est question de démographie, il convient de différencier ses travaux des théories néomalthusiennes. Or, une grande confusion est entretenue.

L’une de ces théories, qui ont toutes pour point commun d’opposer croissance démographique et développement, et qui est aujourd’hui la plus populaire, prône l’incompatibilité entre croissance démographique et protection de l’environnement.

Nous l’avons compris, la question démographique comme enjeu de préservation des ressources à répartir au sein des populations humaines ne date pas d’hier. C’est un peu plus récemment cependant qu’elle est devenue une composante de l’engagement écologiste. Nous devons la construction de cette pensée à la publication de plusieurs travaux d’auteurs dans les années 70.

Parmi les plus connus : Paul Ehrlich, un scientifique Allemand – qui, s’il est connu pour ses convictions néomalthusianistes est aussi le père de la chimiothérapie – publie avec Anne Ehrlich en 1968 The Population Bomb où il annonce une explosion démographique qui mènera à d’inévitables pénuries et guerres. Il compare alors l’humanité à un cancer pour la planète. Son ouvrage sera pointé du doigt pour son côté catastrophiste, bien qu’il ne prenne en compte que les données des années 70.

La même année, le chercheur en écologie Garrett Hardin publie The Tragedy of the Commons, dans lequel il estime que la croissance démographique devrait être de zéro, avec une population et des productions de ressources stables. Il tient la surpopulation pour responsable des problèmes environnementaux et prône l’idée de ne pas laisser la liberté de se reproduire aux individus, justifiant que les « biens communs » de la planète, en l’absence de réglementation et de propriété ou souveraineté, seront irrémédiablement pillés et sources de conflits ou de compétitions.

Le rapport Meadows prône lui aussi une croissance démographique de zéro : publié en 1972 sur commande du Club de Rome, ce rapport rédigé par des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) met en garde quant à l’aspect « fini » des ressources non renouvelables et des difficultés que rencontrera la population mondiale si son nombre continue d’augmenter (il y a alors 4,1 milliards d’habitants). Ce rapport annonce également une décroissance de la population causée par une mortalité accrue liée à la diminution des ressources et l’augmentation de la pollution.

Mais la publication qui enfoncera le clou définitivement est certainement le rapport Brundtland publié par l’ONU en 1987. Connu pour avoir donné sa première définition au développement durable, le rapport Brundtland déclare la stabilisation de la population mondiale comme une urgence.

Sommes-nous vraiment trop nombreux sur la Terre ?

Oui, et non… !

Si l’on raisonne en termes de nombre, l’humanité ne prend pas tant de place que cela sur la planète. Saint-Exupéry faisait dire au Petit Prince, reprenant à son compte les débats déjà vifs de l’époque (1943, 3 milliards d’habitants), que l’humanité entière, debout et un peu serrée, pouvait tenir sur n’importe quel petit Ilot du Pacifique. La place physique occupée aujourd’hui par la moitié de la population mondiale, soit 8 milliards d’habitants, ne représenterait physiquement que 1 % de la planète.

De nombreux scientifiques et économistes ont tenté de définir la « jauge » maximum pouvant être supportée par la planète et ses ressources. Là encore, les opinions divergent, allant de 1 milliard d’habitants à près de 30 milliards. Tout dépend du mode de calcul, par exemple de la quantité de calories retenue pour chaque individu.

Le véritable problème serait davantage les modes de consommation et leurs externalités négatives pour l’environnement que le nombre d’individus en soi. Yves Cochet, écologiste et homme politique français, prônait en 2009 la « grève du 3ᵉ ventre » (se limiter à deux enfants par femme), en avançant qu’un enfant né en Europe équivalait à 620 Allers-retours Paris-New York. Ce à quoi le journaliste Patrice de Plunkett réagit avec humour en proposant, si l’on souhaitait parler d’écologie, de plutôt supprimer cette ligne. Pour aller plus loin au sujet de l’aviation et de son impact environnemental, vous pouvez lire cet article : L’avion vert : mythe ou réalité ?

Nous ne serions donc trop nombreux que si nos modes de consommation opposaient une pression excessive sur les ressources de la planète, ne leur permettant pas de se renouveler et menaçant directement, de fait, le maintien d’une population en bonne santé. Paradoxalement, ce sont ces mêmes évolutions technologiques et agricoles qui ont permis à la pauvreté et à la faim de reculer partout dans le monde, malgré une démographie croissante.

La croissance démographique mondiale et la problématique population-environnement-développement concentre aujourd’hui, selon le démographe Jacques Véron, six questions majeures :

  • La question alimentaire
  • La question des terres et de leur propriété
  • La question de l’eau
  • La question de l’énergie
  • La question des déchets
  • Et enfin, la question du patrimoine mondial, architectural aussi bien que naturel.

Le droit au développement

Les débats sur la démographie humaine et l’environnement ne doivent pas nous faire perdre de vue que le développement des nations est un droit universel, reconnu par la communauté internationale en 1986. Ce droit au développement implique pour chaque citoyen du monde le droit de vivre décemment, le droit à l’éducation, à la salubrité, au logement, à la sécurité, aux soins, à l’emploi, à l’égalité, à une alimentation saine, etc.

Or, contrairement à ce que l’on pourrait être tentés de croire, le développement est un facteur essentiel de la transition démographique : l’augmentation du niveau de vie, l’accès à une scolarité plus longue, la scolarisation des filles, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’accès à un système de santé de qualité sont directement liés à la baisse de la natalité.

Stabilisation ou décroissance démographique ?

Nous l’avons compris plus haut, l’équation population-ressources ne date pas d’aujourd’hui. Concilier population, environnement et développement repose sur une théorie qui consiste à maintenir un équilibre entre le nombre de naissances et le nombre de décès, en atteignant un nombre d’individus suffisant pour maintenir sa capacité à se développer, sans la vider de ses ressources ou la placer dans une situation de dépendance extrême à d’autres États.

De cet équilibre est également attendu un renouvellement stable des générations, indispensable à l’équilibre économique et social d’un pays. Il s’agit également d’un enjeu d’équilibre des rapports de force entre les nations et de contrôle des ressources et des flux migratoires.

Dans les faits, l’équilibre souhaité est difficile à obtenir. Ainsi, l’Europe a par exemple vu son taux de natalité baisser davantage que son taux de mortalité, mettant certains États face à la problématique d’un vieillissement important de leur population. D’autres régions rencontrent le déséquilibre inverse.

La stabilisation démographique se situe à 2,1 enfants par femme. En dessous de ce seuil, nous sommes en décroissance démographique.

Dans les pays où le nombre de naissances est supérieur au nombre de décès, différentes politiques et programmes ont été proposés afin de réduire la natalité. Ces programmes sont parfois poussés par des organismes internationaux. Par exemple, la politique chinoise de l’enfant unique a été insufflée par le scientifique néerlandais Geert Jan Olser. À l’inverse, certains Etats, inquiets du vieillissement de leur population, d’un déséquilibre à venir entre leur population active et leur population inactive, incitent les familles à faire un enfant de plus.

Les dérives possibles des politiques démographiques 

La question démographique est souvent plus passionnée que raisonnée, et certains sont tentés d’émettre des recommandations à l’encontre du droit à la procréation, et des droits humains les plus élémentaires en prônant par exemple un état d’urgence qui impliquerait un contrôle autoritaire des naissances.

Les stérilisations forcées, les infanticides, les avortements clandestins, ont été, et sont encore aujourd’hui, la face cachée de certaines politiques dénatalistes.

À noter que ces régulations passent par le corps des femmes principalement, y compris dans les pays où l’incitation réside dans un accès facilité aux contraceptifs, qui sont généralement exclusivement féminins. Le droit de disposer de son corps est directement concerné par ces politiques.

Les aides sociales sont également mises en accusation : certains revendiqueront l’arrêt des aides au troisième enfant, y compris si celui-ci présente un handicap. Cette proposition peut sembler contre-productive : partout dans le monde, c’est la précarité qui est synonyme de natalité élevée génération après génération, et non l’inverse.

Faire ou non des enfants, peu importe le nombre, est un droit humain parmi les plus élémentaires.

Au choix individuel doit se superposer une volonté globale, alors les spécialistes de la question sont clairs : seuls l’amélioration des conditions de vie, l’accès au développement économique, mais aussi social, sont les prérequis à une transition démographique à l’échelle des pays et par ricochet de la communauté humaine globale.

Ce développement doit avoir lieu, sans pour autant refaire les erreurs du passé, en y intégrant les piliers du développement durable et en adoptant des politiques d’équité sociale, en anticipant également sur les changements de sociétés entrainés par une transition démographique. Faire moins d’enfants peut permettre d’alléger la pression sur les ressources, mais cela signifie également leur imposer l’entretien d’une population d’inactifs (nous !) plus importante à l’avenir.

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